Art urbain ou street art  ?

 

« Le street art est le mouvement artistique du XXIe siècle» , déclare Magda Danyszune des galeristes les plus pointues dans ce domaine. « Contrairement à l’art vidéo ou l’art conceptuel, lorsque l’on parle de street art, tout le monde a une image dans la tête, même si elle est parcellaire ou liée à la partie vandale. » Bien entendu, tous ceux qui écrivent sur les murs n’ont pas une volonté artistique, mais Magda Danysz insiste sur le fait que pour ceux qui ont cette démarche, comme pour tout artiste, elle représente un véritable engagement. Le street art s’inscrit dans une culture en perpétuelle évolution, qui, en cinquante ans, n’a cessé de s’enrichir. Ne pas s’y intéresser du tout serait un peu comme, en leur temps, être passé à côté du cubisme ou de l’impressionnisme. Pour elle, « cet art est comparable à un arbre avec ses racines, un tronc solide et des branches. On est aujourd’hui au printemps, les ramifications et les feuilles sont de plus en plus nombreuses ».

Art urbain ou street art  ?

L’appellation « street art », qui permet d’historiciser le mouvement mais déplaît aux artistes (de même que l’expression « impressionnistes » déplaisait aux peintres concernés), apparaît en 2007. À l’origine, à la fin des années 1960, à l’époque des simples tags, la pratique était nommée « Writing » : il s’agissait, à Philadelphie, puis New York, pour des jeunes d’inscrire leurs noms sur les murs, les trains, afin de marquer leurs territoires. Les tags se multipliant, il leur a fallu se démarquer par des couleurs, des ornements, un style personnel, le tag est devenu un graffiti et la pratique du « Style writing ». À ce stade, il s’agissait toujours de lettres de l’alphabet romain, tracées à la bombe, mais la lisibilité s’est effacée peu à peu au profit du style. « Il ne faut pas oublier que cet art a été inventé par des enfants, et qu’il lui reste toujours quelque chose de cette énergie adolescente, de cette volonté d’aller toujours plus loin », explique Magda Danysz.

« Je veux que, lorsque le train sort du tunnel, ce soit un véritable feu d’artifice. »

Emblématique de cette évolution, l’artiste Seen, pionnier, surnommé le « Godfather of Graffiti », qui a débuté à New York à l’âge de 9 ans (en 1970), a, en 2009, battu le record de la toile de Graffiti la plus chère du monde. L’apprenti graffeur apprend le langage par transmission orale auprès d’un aîné et, progressivement, trouve son style. Peu à peu, certains sont passés à l’abstraction avec une véritable volonté artistique, comme Futura 2000 qui, dans les années 1970, expliquait : « Je veux que, lorsque le train sort du tunnel, ce soit un véritable feu d’artifice. » Pour sa première exposition, en 1981, ses œuvres côtoyaient celles de Jean-Michel Basquiat, Keith Haring ou Andy Warhol.

Clet Abraham colle de la poésie sur les « sens interdit »./Sébastien Bozon/AFP

Clet Abraham colle de la poésie sur les « sens interdit ». / Sébastien Bozon/AFP

 

Si tags et graffitis sont les racines de l’arbre, le tronc s’étoffe dans les années 1980 et 1990, s’impose en France, transforme l’écriture initiale en logotype, l’image devient alors plus forte que le nom, les techniques se multiplient et l’art tend à véhiculer des messages, en référence à l’histoire de l’art ou au monde contemporain. À titre d’exemple, Invader, qui s’est mis à envahir les villes avec ses mosaïques, s’est inspiré à la fois des mosaïques de Pompéi et des jeux vidéo, dont Space Invaders. Il travaille par vagues et inscrit sur une carte ses créations en leur attribuant des points selon la difficulté à les exécuter. On en trouve un millier à Paris mais aussi à l’étranger et même dans une station spatiale. Au final, il calcule son « total score », comme un joueur vidéo.

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Les Os Gemeos, frères brésiliens, développent un univers de peinture murale, qui rappelle la complexité des tableaux de Jérôme Bosch. Côté gravure, un artiste comme Vhils auquel une grande exposition sera consacrée du 19 mai au 29 juillet, au ­CentQuatre, à Paris, gratte les surfaces, fait « parler » les aspérités des murs.

La troisième génération, celle des branches et des feuilles tendres

D’autres détournent la publicité ou les logos afin de mettre en garde notre société consommatrice. C’est le cas de Zevs (prononcer Zeus) qui fait « dégouliner » les marques : McDonalds, Chanel, Vuitton, Apple, Google, Coca-Cola, etc. Des pochoiristes comme Jef Aérosol (auteur du visage de Dali à côté du Centre Pompidou), Blek le Rat ou Miss.Tic révolutionnent les rues de Paris, comme C215 celles de sa ville Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) ou l’Anglais Banksy celles de Bristol, de Londres, puis du monde entier. Les VLP (Vive La Peinture), qui ont débuté dans les catacombes de Paris, se distinguent par leurs performances lors de concerts rock où, peignant à quatre mains (l’un en noir, l’autre en rouge), ils réalisent des compositions fabuleuses.

Les créations de C215 et Shepard Fairey sur les murs<br /> du 13<sup>e</sup> arrondissement de Paris./Adeline Quéraux

Les créations de C215 et Shepard Fairey sur les murs
du 13e arrondissement de Paris. / Adeline Quéraux

Cet art n’est pas seulement contextuel du fait de l’environnement mais aussi du fait des événements politiques. C’est juste après les attentats de Paris que Shepard Fairey, l’un des artistes les plus cotés, qui avait débuté en détournant des affiches pour finalement participer à la campagne électorale de Barack Obama, a réalisé son œuvre Liberté-Égalité-Fraternité. Cette Marianne revisitée siège aujourd’hui à l’Élysée et se déploie en version géante sur un mur du 13e arrondissement de Paris.

La troisième génération, celle des branches et des feuilles tendres, développe toutes ces techniques (pochoirs, peinture, aérosol, gravure, sculpture, photos, collages, affiches) pour renouveler sans cesse le langage. Les street artistes sont très curieux les uns des autres, ils se croisent, se connaissent, se reconnaissent. Il existe, du reste, une pratique insultante dans cet art de la rue, celle du « toy ». « Toyer » consiste à venir souiller une œuvre parce qu’on considère que l’artiste a copié un prédécesseur, qu’il n’a pas développé un langage innovant.

Ainsi, les ramifications du street art deviennent de plus en plus complexes, de plus en plus intéressantes, de plus en plus créatives, et parfois inclassables. Comme Madame qui compose des collages avec des images d’archive et des phrases à double sens, ou le Français Clet Abraham qui pose des stickers sur les panneaux de signalisation afin d’attirer l’attention sur ces « sens interdit », ces « stop » que l’on ne voit plus. Tout d’abord verbalisé pour « avoir sali les panneaux », Clet est aujourd’hui chargé par certaines municipalités (Brest, Paris) de customiser la signalétique urbaine, estimant que, grâce à ses interventions, les panneaux reprennent leur importance.

 « Le plus grand musée du monde, c’est la rue »

L’artiste français JR parcourt le monde pour témoigner de toutes les réalités : il photographie (souvent des visages en gros plan), colle ses affiches géantes dans des lieux stratégiques et lourds de sens. Son projet Women Are Heroes, visages de femmes sur les murs de favelas de Rio, au Kenya ou au Cambodge, rend hommage à leur rôle et alerte sur le fait qu’elles sont les premières victimes des guerres ou de la pauvreté. Avec Les Sillons de la ville, JR raconte l’histoire des villes à travers les récits des personnes âgées : Los Angeles, Shanghaï, La Havane, Carthagène… Ces grands parcours deviennent des livres-témoignages ou des documentaires. Son film Visages, villages, tour de France réalisé avec Agnès Varda, a été nommé aux Oscars le 28 février dernier.

Si tous ces artistes partagent cette vision généreuse de l’art accessible à tous – « Le plus grand musée du monde, c’est la rue », clame JR –, ils n’ont, pour la plupart, jamais rechigné à exposer dans des galeries (dès le tout début des années 1980) ou dans des musées. Certains puristes leur reprochent de céder aux sirènes du commerce, mais il ne faut pas oublier que la création est coûteuse. Les mosaïques d’Invader, les photos géantes de JR, les pochoirs, tout cela est « offert » par l’artiste lorsqu’il officie illégalement dans la rue. Lorsqu’il s’agit de commandes, il est seulement défrayé, comme dans le 13e arrondissement de Paris, qui développe aujourd’hui une politique très avant-gardiste concernant l’art mural. Dès lors, sa seule rémunération possible lui vient de la vente de ses œuvres. Et c’est une bonne nouvelle pour les amateurs car, comme le disent avec enthousiasme les galeristes et collectionneurs, « il y a des Picasso, des Braque, des Modigliani parmi ces artistes ».

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Des incontournables

Musée du Street art : Art42. Environ 150 œuvres de street art, réalisées par une cinquantaine d’artistes et réunies par le collectionneur Nicolas Laugero Lasserre, sont exposées dans les locaux de l’école 42, consacrée au numérique. Les visites passionnantes, conduites par des étudiants de l’école, retracent l’histoire du street art. Gratuit et ouvert à tous sur réservations sur www.art42.fr, le mardi à partir de 18 h 30 et parcours enfants le dimanche. Art42, 96 boulevard Bessières, Paris 17e.

Nantes. Pour des visites dans l’agglomération nantaise : https://www.nantes-tourisme.com/fr/visite/street-art
et découvrir le projet Graff de Nantes : http://www.pickup-prod.com/projets/le-plan-graff/

Lurcy-Lévis, dans l’Allier (Auvergne). Surnommée Street art city, cette cité propose une immersion totale dans l’univers de street artistes, 55 fresques murales, un hôtel désaffecté
entièrement revisité par
les artistes… Renseignements
sur www.street-art-city.com

À lire. Anthologie du street art, Éd. Gallimard, coll. « Alternatives », 288 p., 30 €. Toute l’histoire (et les enjeux) du street art, racontée par la galeriste pionnière Magda Danysz, et merveilleusement illustrée.

 

Stéphanie Janicot

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