LE VOL DE STREET ART

Ces dernières années, le vol de street art est devenu une pratique courante. Cependant, la protection juridique des oeuvres n’est pas encore assurée. En France, la question reste épineuse, en partie parce qu’il est difficile de savoir à qui appartient une oeuvre de street art.

Bonjour,

Nous avons reformulé votre question pour la simplifier. La voici dans son intégralité : «Quand un graph de Banksy ou d’un.e autre street-artiste est volé puis vendu, qui touche l’argent de la vente ? Et quid du droit d’auteur ?»

Votre question renvoie à plusieurs vols de pochoirs du street-artist Banksy ces dernières années. En 2011, le Kissing Coppers, un pochoir de Banksy à Londres, avait été dérobé puis vendu aux enchères en 2014 à la Fine Art Auctions de Miami (FAAM), pour une valeur de 575 000 dollars. Depuis plusieurs années, l’artiste britannique – dont l’identité est encore anonyme – s’est fait «voler» plus de dix pochoirs, les voleurs arrachant les pans de mur qui leur servaient de support. Certains, comme le Kissing Coppers, ont été retrouvés dans des ventes aux enchères. D’autres ont fini sur internet, sur le site de vente aux enchères EBay.

A gauche, «Kissing Coppers» de Banksy. L'œuvre avait été bombée clandestinement sur une façade d'un pub dans Trafalgar Street en 2004, avant d’être volée sept ans plus tard.

Banksy n’a jamais porté plainte pour le vol de ses œuvres, mondialement connues. Il a toutefois créé un centre de certification de ses productions, le Pest Control, où il ne certifie que les œuvres destinées à la vente. Les pochoirs qu’il dépose sur les murs d’une ville ne sont pas certifiés, cela sous-entend qu’ils ne sont pas destinés être vendus.

Contacté par CheckNews, le commissaire-priseur Guillaume Crait confirme: «Les commissaires-priseurs ne revendent pas les œuvres venant de la rue si elles n’ont pas été certifiées par l’artiste, ou si un vol est avéré [par exemple, si un pan de mur a été arraché sans autorisation, ndlr]. Sinon, c’est du recel». En droit, le recel correspond au fait de détenir ou de bénéficier d’un bien ou du produit d’une infraction.

Dans l’Hexagone, la question du vol et de la vente de street art s’avère complexe, notamment en l’absence de jurisprudence sur le sujet. Le débat est également épineux car lorsqu’un street art est apposé sur un support urbain (un mur, une porte par exemple) sans autorisation préalable, difficile d’établir le propriétaire de l’œuvre. L’artiste ? Le propriétaire du support ? Tout le monde ?

Juridiquement, le vol consiste en la «soustraction frauduleuse de la chose d’autrui». C’est un délit puni par l’article 311-1 du Code pénal. Mais peut-on considérer le fait de décoller un pochoir d’un mur comme du vol ? Selon le spécialiste en droit de la propriété intellectuelle, Michel Vivant, le vol concerne davantage le pan de mur arraché que l’œuvre qui y est apposée. Donc dans le cas du vol de street art, c’est le support qui fait l’objet du vol, pas l’œuvre en elle-même, si elle a été posée sur un support sans l’autorisation de son propriétaire.

En réalité, dans le cas du vol de street art, plusieurs droits s’entrecroisent. Celui du propriétaire du support de l’œuvre, et celui de l’artiste lui-même. Selon Michel Vivant, lorsqu’un graffiti est apposé sur un mur, le propriétaire du mur peut en faire ce qu’il souhaite. Rien ne l’empêche de l’arracher, de repeindre par-dessus, etc. «En cas de contentieux, le propriétaire du support peut donc faire jouer son droit de propriété corporelle, physique», explique le spécialiste.

Toutefois, le droit moral de l’artiste entre en jeu lorsque son œuvre est utilisée sans son autorisation. En droit, on parle «d’atteinte à l’œuvre» lorsque celle-ci est utilisée à des fins de reproduction, d’exposition, et ce, sans l’accord de son auteur.

C’est d’ailleurs sur cette question de la contrefaçon (qui sanctionne la reproduction, la représentation ou la diffusion d’une œuvre sans l’autorisation de l’auteur), et non pas pour vol, que l’artiste Invader avait attaqué, en 2013, deux hommes qui avaient tenté de décoller ses mosaïques sur un mur du IIIe arrondissement de la capitale. Invader avait été débouté, rien ne prouvant dans le dossier, selon le juge, que les “voleurs” avaient l’intention de diffuser l’œuvre ou de la revendre.

Le flou juridique sur le vol puis la revente de street art en France, faute de cas concret, ne permet donc pas, pour l’heure, de définir un régime juridique clair pouvant encadrer ce type d’abus. Par manque de jurisprudence, répondre à votre question de manière précise relève donc, selon Michel Vivant, du «droit fiction». Même s’il semblerait que revendre une œuvre de street art soit en soi une «atteinte à l’œuvre».

Pas de quoi rassurer l’artiste Invader. Dans une interview à Libération en 2017, il expliquait : «street art ne signifie pas «c’est dans la rue, c’est à tout le monde, donc c’est à moi et je vais aller me servir pour le ramener dans mon salon». Ce n’est pas parce que des œuvres ont été réalisées sans autorisation qu’elles ne sont pas protégeables en tant que créations.»

L’été dernier, comme chaque été depuis quelques années, plusieurs pièces parisiennes d’Invader avaient été décollées des murs de la capitale, pour vraisemblablement être revendues, provoquant la colère sur les réseaux des fans de l’artiste. Si des pièces tout à fait légales, destinées aux collectionneurs et non à être posées dans la rue, comme celle vendue par Sotheby’s Hong Kong en 2015, peuvent attendre des sommes vertigineuses, d’autres céramiques d’Invader ont été retrouvées en vente sur Internet. Par exemple, le compte Instagram de la maison d’enchères Julien’s Auctions, plutôt spécialisée dans les ventes-souvenirs des stars hollywoodiennes, mentionne des mosaïques, dont la provenance, douteuse, semble être la rue, adjugées pour quelques milliers de dollars.

En attendant mieux, l’artiste Invader avait indiqué à Libération que pour remédier au vol, il utilisait une colle plus puissante et faisait fabriquer des carrelages plus fragiles, pour rendre plus difficile leur décollage.

Marie-Perrine Tanguy

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